L’injection de biométhane accélère et voit grand

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Autorisée seulement depuis 2001, l’injection de biométhane dans les réseaux reste en France encore très modeste. En 2017, 44 unités de production de biogaz le valorisaient sous cette forme, contre 548 pour en produire de la chaleur ou de l’électricité (filière, celle-ci, réglementée depuis 2006). Seulement 0,1% de l’ensemble du gaz naturel consommé en France était du bio-méthane.

L’année dernière semble néanmoins avoir été celle du décollage, révèle le troisième « Panorama du gaz renouvelable » publié jeudi 5 avril, qui recense une augmentation du nombre d’installations de 70% (contre 5% pour les unités de production de biogaz en cogénération), et une croissance des volumes injectés de 89%. 406 GWh de biométhane étaient notamment introduits dans le réseau, à savoir l’équivalent de la consommation d’environ 34.000 foyers, alors que le parc raccordé avait une capacité maximale annuelle de 682 GWh.

30% de la consommation française en 2030

Les perspectives pour l’avenir sont d’ailleurs encore meilleures, relève le Panorama. 361 projets sont en effet « en file d’attente », à savoir potentiellement opérationnels dans les 2 à 5 ans. Leur capacité maximale cumulée, de 8TWh/an, correspond à l’objectif fixé par la dernière « Programmation pluriannuelle de l’énergie pour l’injection de biométhane dans le réseau en 2023 », qui correspondrait à 2% de la consommation de gaz française. Les professionnels du secteur espèrent même tripler l’objectif de 10% de gaz renouvelable dans la consommation française, fixé par la loi de transition énergétique pour 2030, et portent ainsi, dans le cadre des travaux en cours sur la nouvelle PPE, un objectif d’injection de 50 Twh en 2028. Ils comptent notamment sur le soutien des pouvoirs publics, qui a sans doute contribué au récent envol, et qui semble confirmé par les dernières prises de position du gouvernement.

La moitié de la capacité maximale installée due à des sites agricoles

Le biométhane profite, en effet, des faveurs des autorités publiques pour plusieurs raisons. Comme le biogaz, il participe à pallier deux crises d’actualité. D’une part celle des déchets, puisqu’il contribue dans une logique circulaire au traitement des résidus agricoles et de l’industrie agroalimentaire. D’autre part celle de l’agriculture, la méthanisation assurant aux agriculteurs – qui détiennent aujourd’hui 80% du potentiel méthanogène français -, au pire juste des intrants gratuits et efficaces (le digestat qui résulte du processus), au mieux aussi des revenus moins aléatoires que ceux tirés de leur activité directe. Pierre-Henri Roland, agriculteur qui exploite depuis septembre 2017 un site à Senlis, alimenté à 20% par des « cultures intermédiaires à vocation énergétique » (CIVE) venant de ses champs et de ceux de son associé, et produisant 200 mètres cubes de biométhane par heure, peut déjà en témoigner:

« Nous revenons à l’équilibre par rapport à nos revenus d’il y a deux ou trois ans ».

Les professionnels du secteurs commencent d’ailleurs à comprendre ce potentiel : en 2017, la bonne moitié de la capacité maximale installée en France était imputable à des sites portés par des agriculteurs, autonomes ou territoriaux – les premiers méthanisant plus de 90% de matières issues d’exploitations agricoles, les deuxièmes plus de 50%, le reste étant issu de déchets du territoire, notamment de l’industrie agroalimentaire.

Mais par rapport au biogaz valorisé en co-génération, le biométhane présente surtout un autre atout. Forme d’énergie renouvelable non intermittente, il contribue non seulement à la transition énergétique, mais aussi à verdir l’offre de gaz, laissé pour compte par le développement du photovoltaïque et de l’éolien. En 2017, 90.000 tonnes de CO2 ont été évitées grâce au biométhane.

Un groupe de travail, 15 mesures

Déjà soutenu par un tarif d’achat réglementé fixe pendant 15 ans, ainsi que par un système de garanties d’origines permettant de le tracer et de le valoriser, le biométhane a ainsi profité d’autres mesures favorables en 2017 : une réfaction tarifaire sur les coûts de raccordement au réseau de distribution et l’ouverture de l’accès aux stockages souterrains. Pour aller plus loin, le secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire Sébastien Lecornu, vient de clôturer un groupe de travail consacré au biogaz, qui préconise 15 mesures dont quelques-unes destinées en particulier au biométhane, notamment :

  • le lancement d’appels d’offres spécifiques pour les « projets de méthanisation avec injection atypiques »(transformation de la cogénération en injection, mutualisation d’un même point d’injection etc.) ;
  • le soutien financier du bioGNV, sera aussi autorisé pour les engins agricoles ;
  • la création d’un « droit à l’injection » pour les installations situées à proximité d’un réseau, aux frais des gestionnaires de ce dernier.
  • ainsi que – au profit de l’ensemble des projets de biogaz -, une simplification des règles et des procédures, des crédits facilités pour les agriculteurs, et des mesures visant à promouvoir l’image de la méthanisation.

« Il est essentiel que ces mesures soient rapidement mises en oeuvre », estime le président du Syndicat des énergies renouvelables, Jean-Louis Bal.

Des bénéfices pour l’ensemble du territoire

Bien qu’en croissance, le biométhane est, en effet, encore confronté à plusieurs obstacles, que ces mesures veulent lever. Pris entre les contraintes d’urbanisme, les craintes, voire les recours des riverains et la méfiance des investisseurs, le projet de Pierre-Henri Roland à Senlis, qui a coûté plus de 5 millions d’euros, a par exemple mis plus de 5 ans à voir le jour, malgré le soutien de la municipalité. D’autres enjeux freinent aussi l’essor du biométhane, notamment le financement du développement du réseau de gaz pour permettre le développement d’installations sur tout le territoire, et la structuration d’une véritable filière française qui permettrait de faire baisser les coûts.

Pourtant, le pari semble plutôt gagnant. Sept mois après ses débuts, le site de méthanisation de Senlis affiche un chiffre d’affaires de 165.000 euros par mois, et profite, selon son créateur, à l’ensemble du territoire:

« Pour nos besoins de transport de CIVE et d’épandage, nous faisons appel à de la main d’oeuvre et à des entreprises locales, et distribuons gratuitement du digestat à nos voisins », souligne Pierre-Henri Roland.

Des échanges seraient même en cours avec Amazon, qui doit ouvrir un site sur le territoire de la commune, autour de l’utilisation de bioGNV pour ses camions.

De nouvelles technologies prometteuses

Convaincu que, « une fois le méthaniseur en place, d’autres projets peuvent être facilement accolés », l’entrepreneur a d’ailleurs déjà des idées d’amélioration : le regroupement avec d’autres méthaniseurs afin d’acheter de gros volumes de déchets, la récupération du CO2 émis (qui, rappelle-t-il, avait été préalablement capté par la matière méthanisée), mais aussi la gazéification de la partie ligneuse de ses matières premières. Cette technologie, avec le « power to gas » (transformation des excédents d’électricité en hydrogène par électrolyse de l’eau, puis association à du CO2 pour produire du méthane) est d’ailleurs destinée à se développer, et à contribuer significativement à l’essor du biométhane, confirme le « Panorama du gaz renouvelable ». Engie, GRDF et GRTgaz travaillent déjà sur des projets pilotes.