La ministre de l’Écologie a récemment fixé des objectifs élevés pour l’injection du biométhane: 1 500 méthaniseurs en 2017 et 10 % de biométhane dans les réseaux de gaz en 2030. Où en est-on aujourd’hui ? Quels sont les écueils à éviter pour développer cette filière ?
Injection du biométhane autorisée dans les stations d’épuration
La ministre annonçait également que « les tarifs d’injection du biogaz dans les réseaux seront renforcés et élargis, à l’image du cadre tarifaire des stations de traitement des eaux usées (Step) ». Le cadre réglementaire pour l’injection du biométhane issu des boues des Step vient en effet d’être précisé en juin 2014 par un décret et deux arrêtés. Selon la ministre, plus de 60 Step pourraient permettre en 2020 l’injection de 500 GWh par an de biométhane dans les réseaux de gaz. La première sera sûrement celle de la communauté urbaine de Strasbourg. La construction de l’unité de purification (Biovalsan) ayant débuté le 2 septembre 2014. Grenoble vise également la mise en service d’une unité en 2015.
En ce qui concerne les sous-produits de l’assainissement (boues urbaines, graisses issues du dégraissage dans les Step et matières de vidange), selon l’Ademe, « le gisement net disponible s’élève à 16 millions de tonnes ce qui correspond à 2 000 GWh (2 TWh). Le gisement mobilisable à l’horizon 2030 s’élèverait à plus de 600 000 MWh ».
50 TWh en 2030 : un scénario très optimiste
Enfin, la ministre fixait un objectif d’injection de 10 % de biogaz dans le réseau en 2030. Aujourd’hui, cela représenterait un peu moins de 50 TWh. Reste à savoir quelle sera la consommation de gaz en 2030 ? Selon le document que vient de publier en décembre le groupe de travail sur l’injection de biométhane dans les réseaux de gaz naturel, la production de biométhane en 2030 serait de 30 TWh dans la meilleure hypothèse, c’est-à-dire si l’injection se développe sur les sites produisant des quantités importantes de biogaz tels que les Step, les installations centralisées de méthanisation ou les sites traitant des déchets ménagers. Et avec des aides accrues.
Actuellement, les aides de l’Ademe sont à hauteur de 14 à 18 % du coût total d’un projet, avec un plafond fixé à 1 million d’euros. Les tarifs d’achat se situent entre 45 et 125 euros le MWh selon le débit et le type d’intrants. Ils sont garantis sur quinze ans. Les petits débits et les déchets agricoles bénéficient d’un tarif d’achat préférentiel.
Quatre installations raccordées
Aujourd’hui, seules quatre installations sont raccordées au réseau de gaz. Le premier raccordement a eu lieu à Lille en juin 2011. Le Centre de valorisation organique (CVO) de Lille Métropole qui traite chaque année 65 000 tonnes de déchets organiques injecte 200 Nm3/h de biométhane dans le réseau de GRdF. « Un audit financier est en cours concernant la rentabilité de l’équipement » précise Ludovic Maillard, responsable du service recyclage et valorisation.
Deux unités de méthanisation ont été raccordées en 2013 : Morsbach (Moselle) et Bioénergie de la Brie (Seine-et-Marne). La première, portée par le syndicat mixte de transport et de traitement des déchets ménagers de Moselle-Est (Sydeme), est alimentée par 32 000 tonnes de déchets ménagers, 5 000 tonnes de résidus collectés auprès de partenaires privés et 5 000 tonnes de déchets verts broyés. L’usine injecte 50 Nm³/h de biogaz. Deux tiers du biogaz servent à la cogénération et le reste à l’injection. Elle produit également 8 000 tonnes de compost et 10 000 mètres cubes d’engrais liquide.
La seconde unité est portée par des agriculteurs. Elle génère chaque année 10 500 tonnes de digestat et 10 100 MWh de biogaz. Depuis août 2013, cette production permet d’approvisionner en gaz les 1 500 foyers raccordés au réseau des cinq communes environnantes. Une seconde installation agricole vient d’être raccordée au printemps dernier à Mortagne-sur-Sèvre (Vendée). Elle rassemble dix agriculteurs et produit 65 Nm³ heure.
Éviter le piège allemand
GRdF compte sur deux à trois nouveaux injection du biométhane dans l’année. « Nous recensons à ce jour 408 projets à l’étude. Mais il est très difficile de prévoir leur date de raccordement. Un projet met en moyenne quatre ans pour se concrétiser. Les deux tiers des demandes sont d’origine agricole (en association souvent avec des collectivités locales) et agroalimentaire. Un tiers concerne des projets plus importants liés à des Step, des ordures ménagères ou des décharges. Leur débit est très variable, de 40 à plusieurs milliers de Nm3/h. La moyenne est de 220 Nm³/h, soit 20 GWh par an. Bien en deçà de l’Allemagne » développe Valérie Bosso, chef de projet biométhane à GRdF.
Mais le modèle allemand est aussi très critiqué, car la méthanisation utilise surtout le maïs plutôt que les déchets. Plante qui demande beaucoup d’eau, d’engrais et de désherbant. Comment éviter cet écueil en France ? « En ajustant les tarifs selon les intrants. Certes, le maïs améliore le rendement, mais les graisses issues de l’agroalimentaire aussi » répond la chef de projet.
Faire un bilan environnemental global de la filière
Il faut le souligner encore une fois : la méthanisation ne permet pas le traitement de l’azote. Lorsqu’1 kg d’azote entre dans le méthaniseur, il en ressort 1 kg. Même si sa forme a changé (digestat). « Le risque pour les régions d’élevage est d’importer encore plus d’azote sur un territoire en zone vulnérable pour alimenter les méthaniseurs » met en garde Arnaud Clugery, d’Eau et rivières de Bretagne qui vient de mettre au point une grille d’évaluation pour les projets de méthanisation.
Pour éviter par exemple que le plan d’épandage du digestat se situe dans le zonage du plan algues vertes. Paradoxe : la méthanisation est une solution avancée par le plan algues vertes de 2010 alors que celles-ci sont très difficiles à méthaniser toutes seules. Second écueil : éviter de tomber dans le piège allemand (voir ci-dessus), où au final, le bilan est néfaste pour l’environnement, comme pour les agrocarburants de première génération. L’Ademe prépare justement un bilan global de la filière. Histoire de vérifier que ce n’est pas une « fausse bonne idée » !
FOCUS
3 questions à Olivier Théobald, ingénieur au service mobilisation et valorisation des déchets à l’Ademe
- La nouvelle réglementation permet d’injecter dans le réseau de gaz le biométhane issu des stations d’épuration. Est-ce que cet apport sera important ?
L’apport des Step est assez faible par rapport à l’enjeu biogaz. De plus, la Step doit être placée au bon endroit, car le consommateur doit impérativement se situer à l’aval du point d’injection.
- Quel est précisément le potentiel de production des Step ?
L’ensemble des Step de plus de 40 000 équivalents-habitant a un potentiel de production de biométhane estimé à 1,3 TWh. Mais c’est en admettant qu’elles pratiquent toutes la méthanisation de leurs boues et que tout le biogaz soit valorisé en biométhane.
- Est-ce que l’objectif de 10 % de gaz renouvelable dans les réseaux en 2030 annoncé par la ministre de l’Écologie vous semble atteignable ?
C’est possible dans un scénario volontariste avec des aides accrues. Selon les chiffres clés de l’énergie du MEDDE, la consommation actuelle est de 478 TWh. Mais cette consommation diminue actuellement en moyenne de 1 % par an. Soit de -3,5 % de 2012 à 2011 et +1,4 % de 2013 à 2012. Si la tendance se confirme, la baisse serait de -17 % entre 2013 et 2030 et la consommation serait donc de 400 TWh environ en 2030. 10 % représenteraient 40 TWh, c’est-à-dire l’ordre de grandeur des 30 TWh du scénario volontariste de la feuille de route de l’Ademe. En revanche, si l’on conserve le rythme actuel de développement des projets tels que l’observent l’Ademe et GrDF, avec les conditions tarifaires et aides actuelles (en les actualisant régulièrement), la production sera seulement de 12 TWh en 2010. Et non de 40 TWh comme annoncé.
Source de l’article : La gazette des communes | Auteur Sylvie Luneau | Le 14 Janvier 2015